Les amis... et la famille (Orhan 3/5)
- Les Cueilleurs d'Histoires
- 25 janv. 2021
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 2 mars 2021
Les amis ont beaucoup compté lors de son adolescence... de même que son père, mais pour d'autres raisons...Orhan continue à nous raconter ses choix.

En parlant de motivation, hormis le fait de vouloir gagner de l’argent et la pression de mon père, il y a eu une chose très importante : c’est le groupe d’amis, c'est 75 % de la réussite.
"Ses amis, on les choisit, certes… mais pas vraiment."
Notre ami, c’est celui qui habite près de chez nous, celui avec qui on joue au foot, celui avec qui on fait la route pour aller à l’école. Donc on ne le choisit pas vraiment.
J’ai eu la chance de tomber sur 1 ou 2 amis qui étaient également forts à l’école et avec lesquels on jouait au foot et notre sujet de conversation parfois, c’était le fait d’être bons à l’école, le fait d’être un peu concurrents.
Si mes amis avaient été voleurs, j’aurais fini voleur, trafiquants de drogue... J’ai eu la chance de tomber sur des amis pour qui l’école ça comptait et qui voulaient travailler.
A 13, 14 ans… on parle plus du métier de nos parents, que de ce qu’on veut faire plus tard. C’est trop tôt. On est des enfants, à 13,14 ans. C’est normal de ne pas savoir.
Et de toutes façons, ce n’est pas un sujet qu’on aborde avec ses amis… On risque de se faire chambrer ! « Je vais devenir pilote d’avion ! ». Mais alors, on va s’en prendre plein : « T’es qui pour être pilote d’avion ? », « T’es qui pour être gérant de société ? ». On ne va pas nous aider et dire : « Ok ! Tu veux être pilote ? On va te pousser pour être pilote ».
A cet âge-là, dans un quartier, c’est sauvage. On ne va pas tirer vers le haut, on va tirer vers soi. On est des amis, on s’aime beaucoup. A cet âge-là, nos amis, on les aime plus que nos frères et sœurs, et on n’a pas envie qu’un parte trop loin, sorte de notre environnement. S’il devient pilote de ligne, il ne va plus faire partie de notre environnement, on a peur de le perdre alors on le tire vers soi, vers le bas. C’est malheureux, mais c’est comme ça.

Les conversations c’était « Quelle équipe on va affronter ce week-end au foot ? ». Le mercredi c’était : « Toi, t’as bien joué ce match, toi t’as moins bien joué ». C’était le foot la préoccupation principale.
A 14 ans, il faut prendre le temps. Et puis, il n’est jamais trop tard. Ce n’est pas parce qu’on a réfléchi à 18 ans au métier qu’on veut faire plus tard, que c’est trop tard. Pour rien il n’est jamais trop tard. Il faut juste être prêt et se laisser le plus de portes possible ouvertes.
"Ma première expérience professionnelle, j’ai eu la chance… ou le malheur de travailler avec mon père sur un chantier. C’était... très compliqué."
Je suis arrivé là-bas avec mes airs hautains en me disant : « c’est mon père le chef du chantier, je vais être protégé… » Il m’en a fait voir de toutes les couleurs. Je n’ai jamais autant souffert de ma vie. Honnêtement, j’en avais ras-le-bol. J’étais à deux doigts de lui dire : « Toi et ton chantier..., c’est bon, garde-le et ne me parle plus! »
J’ai compris plus tard qu’il m’avait serré et m’avait donné la piqûre du travail.
L’indépendance d’une personne c’est quand elle commence à fonder sa propre famille. Et pour ça, le meilleur moyen, c’est le travail. Être mari, père de famille, … c’est du travail 24h sur 24. Il faut se réveiller le matin pour les enfants, pour le travail. On rentre le soir, il faut s’occuper de la maison, mettre une télé, faire le parquet...
Moi, ce que je n’acceptais pas, pendant les 20 jours où j’ai travaillé, c’est que j’en faisais plus que les autres. On avait une pause de 12 à 13h, le temps de rentrer à la cabane de chantier, il était 12h15. C’était à moi de sortir les gamelles de tout le monde, de les mettre à chauffer. Pourquoi c’était moi ? On mangeait, c’était à moi de débarrasser la table. Pourquoi encore moi ? « Papa, pourquoi moi ? »
Et pourtant, le choix de travailler dans le bâtiment, je peux le remonter à l’enfance. Je devais avoir 6, 8 ans, j’aimais bien les grues, les engins de chantier. Il y avait de belles publicités à la télé. Mon père, avec un peu de chance, il m’achetait le jouet, mais ce n’était jamais comme dans la pub, parce que dans la pub, ils avaient mis le sable… Je me rappelle, j’en avais une, télécommandée et je m’amusais à prendre des choses sur la table pour les déplacer.

Encore une fois, on n’y pense pas forcément sur le moment. A 6, 8 ans, on ne se dit pas : « Je vais travailler dans le bâtiment » mais il y avait cette envie de faire ce que mon père faisait. Et justement lui me disait : « Ne fais pas le métier que je fais. Deviens docteur, avocat.»
Nous, les règles… on a du mal à les suivre. Je ne sais pas si c’est moi, les jeunes de quartiers ou tous les jeunes, mais quand il y a une limite, on a envie de la franchir. On a envie d’être libre.
"Par contre, ne pas travailler, c’était inenvisageable. Une vie sans travail, c’est une vie sans argent, et une vie sans argent, c’est très très très compliqué. Il n’y a pas besoin de gagner beaucoup d’argent, mais il en faut."
Forcément, il y a eu des moments de doute, mais rien de marquant : on a des chaussures, notre ami en a des mieux, mais ça, c’est pas grave. On fait avec. Ça fortifie un peu.
Les plus gros doutes, c’est le passage en lycée, quand on passe du meilleur élève au moins bon ou parmi les moyens. Et puis, derrière il faut faire le choix de l’après-bac, des études supérieures à faire. Je me suis rappelé de comment j’avais galéré en seconde, et je n’ai pas eu envie de recommencer à l’université.
Alors, j’ai choisi un cursus où je pensais que j’allais pouvoir réussir. Aujourd’hui c’est un regret, je regrette d’avoir choisi l’option la plus simple, je regrette de ne pas avoir fait une classe prépa ou une école d’ingénieur, surtout que j’avais les compétences pour faire une classe préparatoire, une école de commerce, une école d’ingénieur.
Peut-être qu’avec ce cursus, ce diplôme, j’aurais sûrement fait mieux que ce que je fais aujourd’hui. Il y a plein de choses qui sont meilleures qu’être gérant.
Les études, ça formate le cerveau, ça apprend à réfléchir. Et, dès qu’on apprend à réfléchir, on arrive à s’en sortir dans la vie. Bien sûr, j’ai appris moi-même, avec l’expérience. Parfois j’ai fait les bons choix, parfois les mauvais. Faire une grande école, ça permet de trouver toujours la bonne solution.
A 21, 22 ans, on a envie que ça se termine. C’est peut-être là que j’ai fait le choix d’études courtes : pour moi un DUT c’est court. Et puis, au bout des deux ans, je me suis demandé ce que j’allais faire… Travailler ? Sauf qu’il y a toujours la pression de mon père, du coup, j’ai fait une licence en génie civil. En même temps, j’avais les bourses, ça faisait une petite rentrée d’argent. A la fin de la licence, je voulais vraiment travailler.
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