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Eugene_Boudin_-_pêcheurs_près_d'une_ba

Eugène Boudin, Pêcheurs près d'une barque, vers 1853-1859. Huile sur carton, avec cadre 24 x 30 cm. Don Louis Boudin, 1900. Le Havre, musée d’art moderne André Malraux © 2006 MuMa Le Havre / Florian Kleinefenn

ABOMINATION

" Esclaves

 

Je vois des hommes, un bateau, comme un petit lac, de l’eau. Ça me fait penser à l’esclavage, et ça me rappelle chez moi. Il n’y a que des Noirs, sur la photo. Je ne sais pas pourquoi j’ai dit esclavage, mais ça me fait penser à l’esclavage. La façon dont ils sont, on dirait qu’ils font quelque chose pour d’autres personnes. Ils chargent des choses pour mettre dans le bateau. Ça se pourrait que ce soit pour eux, mais ça se peut qu’ils travaillent pour quelqu’un d’autre. C’est des travailleurs, des débrouillards. Souvent, les esclaves, c’est des débrouillards, ils se débrouillent pour sortir de la galère. Ils ramassent des herbes ; à gauche, c’est une fille, je pense qu’elle travaille aussi.

 

Ils ne sont pas malades, pas trop heureux non plus, pas tristes, mais j’aurais dit désespérés. Si on se dit qu’ils travaillent pour d’autres personnes, pour moi, ils sont désespérés. Ils n’ont plus d’espoir d’avoir une vie normale. Leur avenir, c’est travailler pour des gens, il n’y a pas de révolte possible.

 

La fuite

 

J’aurais dit qu’ils se sauvent.

Je vois un enfant, au premier plan, il y a un homme avec un enfant, et tous, ils ont décidé de se sauver. S’ils travaillent pour quelqu’un, c’est sûr qu’ils doivent se sauver. Il faut qu’ils se sauvent. Ça me rappelle chez moi, parce que chez moi, aux Antilles, c’était pareil. Aujourd’hui, c’est pas pareil mais avec tout ce qu’on nous a raconté étant petits, moi, ça me rappelle ça. Les gens qui déchargent la canne à sucre pour faire du rhum, et d’autres qui travaillent pour couper des champs de canne pour les Békés, ça me rappelle ça.

Je ne connais pas les peintres, mais lui, il a voulu parler de l’esclavage, il a voulu montrer comment c’était, ou montrer une partie de comment ils faisaient. On ne voit pas de violence. J’imagine une musique douce, mais un peu triste, avec flûte, piano. J’ai déjà joué de la flûte. Quand j’étais petit. C’est quelque chose que je faisais quand j’avais envie.

D’un côté j’aurais dit qu’ils travaillent, mais d’un autre côté, j’aurais dit qu’ils se sauvent. J’ai envie qu’ils s’échappent.

 

 

Se sauver ou partir ?

Moi, je n’aurais pas pu rester. Après, si c’est pour nourrir ma famille… ça se pourrait aussi qu’il y ait des malades..., j’aurais continué forcément. Je ne pourrais pas laisser ma famille comme ça. Je suis l’homme de la maison. L’enfant, peut-être qu’il aide son papa ?

Ils déchargent des choses, ils font du commerce, pas de la pêche. Ça peut être de l’or, des choses précieuses. Ça se pourrait que ce soit pour eux s’ils se sauvent. S’ils devaient s’échapper, ils ont pris ce qui appartenait au monsieur, ils sont partis avec. Ils l’ont attaché ou ils l’ont battu, ou les deux, sans le tuer. Mais c’est possible qu’ils déchargent pour le maître. Ça peut être à La Martinique. Ils partent sur une autre île, Guadeloupe, ou Sainte Lucie, j’habite là-bas. Ma mère habite là-bas. J’ai habité à Sainte Lucie, à la Martinique et en Guadeloupe. J’ai aimé les trois. Sainte Lucie, c’est anglophone. Les paysages sont très différents. Sainte Lucie il y a de la montagne. Ils partent à Sainte Lucie, ils y seront mieux, ils vont changer de vie. Ils prennent soin les uns des autres, c’est une autre vie, déjà tu as ta famille.

J’aurais dit que c’était le printemps ou l’automne, le printemps parce qu’il y a beaucoup d’herbe verte, et l’automne, parce qu’on dirait qu’il y a des feuilles qui tombent. C’est en fin d’après-midi, ils ont travaillé toute la journée. Il est 17h, le soleil n’est plus là. On voit des arbres au fond. Il faut qu’ils soient rapides, ne pas se blesser.

Il faut qu’ils prennent à manger, forcément de l’eau, de la canne, du blé, du sucre.

 

 

"Abomination" dans la chambre

 

J’ai un mot dans la tête, je ne sais même pas pourquoi je pense à ça, c’est arrivé comme ça, sans réfléchir. Je ne sais même pas trop ce que ça veut dire: Abomination.

Ce tableau, je pourrais le mettre dans ma chambre, ça ne me dérangerait pas d’avoir une image comme ça. Ça nous prouve que nous les Noirs, on est forts, on a subi des choses, et on est là. Même s’ils ne s’échappent pas, c’est la vérité, on est forts, on est débrouillards là-bas. Quand je faisais de la mécanique-bateau avec mon père, par exemple, le moteur, tu peux tirer avec le fil. Mais si, par exemple, le fil est cassé, on va se démerder pour avancer. Tandis qu’en France, c’est cassé, tu vas directement commander quelque chose ou acheter directement, mais nous, on va se démerder. C’est dû à l’esclavage, on a fait beaucoup de choses, ils ont fait beaucoup de choses, ils se sont adaptés. Moi, je suis débrouillard, en tout, mécanique, moto, la maison, en tout. J’en suis fier, je peux faire beaucoup de choses, je n’ai besoin de personne pour m’aider. On m’a appris et ensuite, j’ai appris tout seul. Je n’ai besoin de personne. Là, je suis en prison, je me débrouille.

Je mettrais cette photo dans ma chambre, je la verrais tous les matins en me levant. Dans ma chambre, j’ai plein de trucs, j’ai les photos de mes chiens, de mes pitbulls… Je ne vais pas prendre un caniche…. Quand je marche dans la rue, il n’y a personne qui m’embête. J’ai des photos de chez moi, des photos de mes motos avant, le drapeau de la Martinique, parce que c’est chez moi. J’adore, je suis tellement possédé que je mets un drapeau. J’ai un livre : Nègre marron. Il n’y a que des Noirs qui coupent un champ de canne, ou de blé. C’est plusieurs photos. Je sais que c’est un livre mais je ne l’ai jamais lu. Tout le monde connaît. J’ai une photo d’Aimé Césaire, il a fait beaucoup de choses pour nous."

Gwada

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