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Jacqueline Salmon, Le Port du Havre, carte des vents, 2016. Epreuve pigmentaire (1/5) et dessin à l'encre de Chine sur Aqua Paper contrecollé sur Dibond, 95,5 x 83 cm. Le Havre, musée d’art moderne André Malraux © MuMa Le Havre / Jacqueline Salmon

La Liberté

" La mer et les souvenirs

 

J’ai choisi ce tableau parce que la mer ça me rappelle la ville d’où je viens. La mer, c’est bien, on peut se baigner, ça rafraîchit. On entend le bruit, ça calme, ça apaise, ça fait penser à autre chose. J’y allais souvent quand j’habitais à la Rochelle, 2 ou 3 fois par semaine, ça dépendait des marées ; si les marées sont basses, c’est pas l’heure pour se baigner. Il faut aller loin.

 

Je me pose, des fois avec des potes. De temps en temps, j’y vais seul pour me calmer. Quand je suis arrivé ici, je ne suis pas passé devant la mer, alors je ne sais pas à quoi elle ressemble.

Sur l’image, elle n’est ni calme, ni agitée, entre les deux il y a quelques vagues. Mais sur cette photo, on voit surtout le ciel, gris. On dit gris, mais il y a plusieurs couleurs autour du gris : blanc, crème, gris clair, foncé. Il ne fait pas très beau, le vent est froid. C’est agréable, ça fait du bien des fois de sentir l’air qui vient vers nous. J’imagine qu’il y a du vent, on le voit à la forme des vagues, ça bouge.

 

 

Le vent et la liberté

 

Le vent c’est une source de liberté. En prison, on ne sent pas l’air vraiment, on sent l’air pollué. C’est pas pareil que quand tu es dehors, tu te sens libre, tu es bien. Il y a du vent mais tu ne le sens pas quand tu es dans ta cellule. 

Dans les cellules, il y a des fenêtres avec des barreaux, plus une petite grille avec des petits carrés.

Tu ne peux pas sentir le vent, moi, je ne sens rien.

Ici, ce qui me manque c’est la liberté. On se sent libre, on a l’impression d’être libre dans ce genre d’endroit. Avant, je ne pensais pas au vent, pas forcément, j’avais d’autres préoccupations.

 

 

Le Havre et sa mer, aucun intérêt !

 

Ce que je regarde c’est plus la mer, les bâtiments, le port. Ça me rappelle La Rochelle, avec le port, beaucoup de bateaux, des bateaux de pêche où les gens qui vont se balader. Ça me rappelle la Corse, la mer. J’ai habité en Corse aussi, ma mère y habite. C’est deux belles villes, en Corse et La Rochelle. C’est à Porto, ça s’écrit pareil qu’au Portugal. Il y a un petit village près de Porto.

On voit à travers l’eau alors qu’ici on ne voit rien, la mer est dégueulasse partout. Elle est verte un peu sur la photo, on a l’impression qu’elle est sale, bizarre. C’est pas l’endroit où j’irais me baigner. J’irais visiter la ville, mais je ne pourrais pas habiter là, c’est trop loin de tout, c’est tout en haut de la France ! Je préfère rester dans le sud-ouest, Nouvelle Aquitaine, c’est là où j’ai grandi. J’aime bien découvrir des choses, mais pas forcément cette ville.

 

 

Camps de concentration

 

Je voudrais aller dans d’autres pays pour découvrir autre chose, en Pologne surtout, là où il y a les camps de concentration, ça m’intéresse, je m’intéresse à l’histoire. Ça me touche l’extermination des Juifs. Je voudrais aller à Amsterdam voir l’annexe d’Anne Franck, j’ai lu son livre. Je sais qu’il y en a plein d’autres qui ont fait des livres, mais celle-là, elle raconte son quotidien ; j’en ai entendu parler aussi, quand j’étais petit.

 

 

Parcourir la France

 

Il peut y avoir la campagne et la ville. Il y a des endroits où c’est la campagne, et des endroits où c’est la ville. Une petite ville. Quand je suis arrivé, il y avait des vaches, des champs partout. J’ai pris des autoroutes, après j’ai pris des grandes routes, des rocades, il n’y avait que des champs, des grosses bottes de foin. J’étais dégoûté de venir ici. Ça ne fait pas deux ans que je suis ici, ça fait 2 mois. J’ai été transféré, j’étais dans une autre prison avant, à Bordeaux. Ça fait la 5ème prison que je fais, ça fait 4 fois qu’on me transfère. Porcheville, j’étais là-bas, Angoulême, Nantes. Je repars bientôt, je suis majeur, je vais aller à Saintes, à côté de la Rochelle.

 

 

Voir de loin/voir de près, être présent au paysage

 

Les bâtiments, ils sont tout petits. Au niveau des bâtiments, il y aura toujours plus d’eau. La mer, elle sera toujours plus grande que tout.

Le ciel prend une bonne partie de la photo aussi.

Le photographe voulait prendre une photo en grand, de tout, pour faire un tableau. Avec tous les détails qu’il y a, ça doit être dur de faire ça en peinture, mais de loin, on pourrait croire une peinture. Les traits, c’est le vent. J’avais déjà vu sur la météo, des sortes de traits comme ça.

 

De toute façon, au bord de la mer, il y a toujours du vent. Quand je regarde la photo, je vois à peine les traits. Déjà, je n’ai pas mes lunettes, et même quand tu es devant, tu ne vois pas très bien.

Si j’y allais, ce serait en voiture, c’est plus facile. A pied c’est long, et si tu restes la journée, ça va être difficile de tout visiter.

 

 

Ambiance

 

Je ne pense pas que j’écouterais une musique ici. C’est mieux de faire les choses en vrai, si tu fais pas à fond, ça ne sert à rien ; tu vas être déconcentré, tu vas penser à autre chose.

J’entendrais les gens qui parlent, le bruit du vent, le bruit des oiseaux. Je ne sais pas s’il y a beaucoup de bruit ici. Ça dépend où tu es. En ville, il peut y avoir beaucoup de bruit. A la mer, s’il y a des enfants qui crient..., ça dépend s’il y a du monde ou pas.

Il y a des gens qui travaillent là. Ils travaillent dans les usines, ils s’occupent des bateaux. C’est le même port pour les touristes qui veulent visiter le port en bateau.

C‘est peut-être l’hiver, il fait froid l’hiver. Je ne pense pas que ce soit l’été, mais on ne peut pas savoir. L’été, il peut faire beau, ou il peut faire moche.

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Penser à autre chose

 

J’aime bien cet autre tableau. On dirait la Corse, on dirait des montagnes, au fond, des rochers.

Il faut espérer aussi, c’est ce qui nous donne la force pour tenir. D’imaginer dehors, je vois la sortie. Je pourrais aller à la Rochelle, mais en Corse non.

J’aurais envie d’être tranquille, de penser à autre chose. Pas refaire une nouvelle vie mais repartir sur d’autres bases.

Je me vois à la terrasse d’un restaurant, être tranquille et regarder la vue, penser à rien. Tu vois au loin, tu vois les montagnes, tu vois les nuages qui descendent de la montagne, tout ça. On est l’après-midi, il fait soleil. Les nuages descendent bas, en-dessous des sommets des montagnes. J’aime bien, il y a des vignes, les plantations des villages. On voit des routes aussi sur les bords des montagnes, c’est l’été.

Autour de la terrasse, il y a des habitations, et des Vieux, ils sont devant chez eux, ils discutent entre eux, des commères, ils racontent les problèmes des gens, ils se mêlent … Je n’entends rien, je ne fais pas attention, je les entends parler, c’est des "ça va?" vite fait. J’entends les couverts parce que les gens mangent, j’entends les gens qui discutent sans y faire attention, sans me concentrer sur leurs discussions. J’aime bien être seul aussi.

Ici, je viendrais avec ma famille, mais il y a d’autres endroits où j’aimerais aller seul. Ça dépend s’ils ont envie ou non. Je ne connais pas vraiment. C’est pas un endroit où je partirais en vacances avec ma famille.

 

A Auschwitz, j’irais seul, parce que c’est spécial. Il faut prendre du temps là-bas, il ne faut pas aller trop vite. Par exemple, moi, je suis concentré sur un truc, je ne veux pas avoir à m’occuper des autres."

Kalvin

Albert Marquet (1875-1947). La Baie d'Alger, ca.1921. Huile sur carton 33x41cm.Le Havre, musée d’art moderne André Malraux © MuMa Le Havre /Charles Maslard

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