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"A perte de vue"

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Depuis Paris, en imaginant...

 

Je suis parisienne. Quand j’étais petite, je regardais des tableaux et des documentaires sur Étretat. J’avais envie de découvrir la ville, ça a été tardif puisque je ne suis venue qu’une fois, il y a 3 ans. Je pense à Monet, à cause des Impressionnistes. Je suis frappée par la douceur du paysage. Bizarrement, je pense à quelque chose d’amolli. Il ne me semble pas qu’il y ait de pentes abruptes, le paysage est gondolé.

Ce que j’aime, c’est cette impression d'une vue sans limite, de calme. Quand on vient de Paris, on a tellement soif de silence et de nature qu’on ne voit pas les choses comme les autres, tout paraît merveilleux : c’est vaste, sans limite. Et puis, il y a la mer. La vue se perd. La terre, la mer et le ciel se confondent.

Étretat, c’est ce paysage molli qui ondoie, la dépression, le calcaire, la mer et les maisons bourgeoises.

 

Solitude et nostalgie

 

C’est un écrin, comme du velours vert, un canapé cosy. Ici, tout s’offre au regard et on peut s’y abandonner. Il y a d’autres endroits en Normandie, d’où on voit les côtes, le regard est arrêté. Là, il n’y a rien, juste ce dégradé, ce « sans fin ». Alors, on se dit, « enfin il n’y a que moi ».

Je n’ai pas du tout la même impression à Nice où les gens sont en activité, on se montre. Ici, les gens ne cherchent pas à se montrer, ils ont une autre occupation du territoire, il y a de l'abandon, de la sérénité.  

Là, il n’y a rien à faire. C’est un plaisir de fin gourmet, juste le plaisir de la vue.

La mer est particulière ici. Dans le Sud, elle est bleue, on dirait presque de la gouache marine. Ici, elle est délayée, c’est comme une pierre précieuse, un saphir poli et elle est comme posée, il n’y a pas de profondeur. On ne voit pas le fond, il n’y a pas de gros rouleaux. On a du vert de gris, du bleu foncé et c’est pareil dans le ciel. Il y a un effet miroir. Les couleurs sont crémeuses, pas réellement franches. Ce n’est pas un bleu lapis lazuli, ce n’est pas un vert feuille. Tout est en fusion.

 

C’est un paysage mélancolique, mais au bon sens du terme : les feuilles sont grisonnantes, elles ont un côté irisé, un peu vieilli. Les buissons ne sont pas taillés, il y a plein d’endroits en friche. C’est l’abandon. 

Étretat c’est contrasté : il y a les villas et en même temps quelque chose de non anthropisé. On dit « il n’y a pas trace de l’homme » ... on sait que c’est faux, mais on veut y croire. A Paris, c’est le tumulte : immédiatement sortis de chez eux, les gens téléphonent, parlent fort, les véhicules se klaxonnent… à un moment, on a besoin de ne plus voir les humains.

Le regard a besoin de se perdre, de ne plus être sollicité… J’ai l’impression de l’être continuellement, alors j’ai tendance à me balader dans des rues peu empruntées… C’est modeste comme échappatoire. Étretat nous offre cette possibilité.

Le choix du tableau

 

Dans mon paysage, je voulais le ciel et la mer. J’ai retiré l’Aiguille, je la connais déjà beaucoup. Et puis elle tranche par rapport à la douceur du paysage. L’Aiguille plantée ne m’intéresse pas. 

La lumière est importante : il y a une unité avec le ciel voilé et ses quelques taches lumineuses ; pareil pour la mer, tout est aqueux, gazeux, se confond. Ça rend encore davantage les choses mélancoliques et ça retire le côté carte postale, on a envie de s’asseoir là et de méditer. C’est un paysage qui s’apprécie de façon solitaire. Il ne se consomme pas. On ne peut pas le faire avec un groupe d’amis, prendre du champagne, rire, discuter… ça, ça irait en bas.

 

J’aime cette chose qui sert à délimiter le paysage. Ces fils barbelés n’empêchent pas, la clôture n’est pas très bien faite, et comme elle est rouillée, ce n’est plus un objet, c’est presque un élément naturel intégré au reste. Ce n’est plus du tout agressif, c’est un motif végétal qui n'empêche pas, qui ne ferme pas. 

 

On ressent davantage le vent ici, ça fait du bien, il vivifie. J’avais envie d’avoir du vent, d’être emportée. Je le laisse passer, se faufiler, passer dans mes cheveux, entre mes pieds, je me tourne s’il devient gênant, mais ce n’est pas un adversaire.

Ce que raconte le paysage, c’est aussi le bout du monde, le bout du continent, le vent dit qu’ici on peut se perdre, se dilater. 

 

L’ambiance sonore est douce, les gens sont respectueux de ce qui se passe ; ils sont observateurs, ils se promènent, prennent une photo, mais sont attentifs à ce qui se passe. Il y a un côté quasi religieux dans la façon dont ils apprécient le paysage. Ils ont juste envie d’écouter.."

Aube, Étretat

le 27 juin 

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