"Nostalgie"
MON PAYSAGE ETRETAT
"Mouvement perpétuel"
" Échelle géologique
J’aime ces anciennes parties de la falaise qui sont sous l’eau, qui apparaissent, disparaissent. La falaise recule, à l’échelle géologique, ça donne une histoire de son passé. C’est un paysage en mouvement perpétuel. Les terres allaient beaucoup plus loin avant, on voit aussi l’évolution de la falaise. Le plateau calcaire ramené au niveau de l'eau. On s’imagine que la falaise, ce n’est pas nouveau et qu'elle recule inexorablement. Un jour, l’arche tombera. Ce sera un événement important, mais naturel.
J’ai mis dans mon cadre ce petit bonhomme. Ça donne l’échelle.
A part ce personnage, il n’y a pas d’empreinte humaine. On est dans un lieu touristique, très connu et très fréquenté, et par opposition, j’aime bien ce côté où on ne voit pas l’homme. Pouvoir venir à Étretat, et ne pas voir trop de monde… un luxe !
Il y a aussi très peu de ciel dans mon paysage. Ce qui m’intéresse, c’est la mer, les galets, la craie, la falaise, et puis le vert de la nature.
Souvenirs
Étretat pour moi, c’est beaucoup de souvenirs d’enfant, avec la GS bleue de mon père. Il y a une photo, où on est sur le banc qui est juste là, toute la famille, face à la mer. Ça devait être en hiver, on est tous habillés chaudement. C’est la route du retour...Mes parents avaient une maison après Fécamp, on y passait souvent des week-ends et au retour, on passait par Étretat. Mon père s’y arrêtait pour prendre un café, ou un truc à manger. Ça faisait une étape... C’était pénible... Quand on est enfant, c’est vite chiant, même si c’est très beau. Le fait de repasser tout le temps en voiture au même endroit ! On a juste hâte de rentrer !
Tomber ou prendre 10 tonnes de craie, un choix cornélien !
Avec ces éboulis, on est complètement dans le sujet de l’érosion, c’est visible, c’est une trace fraîche de ce que l'on sait se produire. Ça ne doit pas être ancien. C’est cette mutation permanente que j’aime. En haut, il n’y a pas cette impression de danger ; par contre, en bas, on le ressent. Je pense à chaque fois à l’érosion par l’éboulement. En haut, je n’y pense quasiment jamais. On a moins de chance de s’en sortir en bas..., en haut, on a une petite chance d’être à côté. Je sais que c’est un sentiment et non la réalité, parce que le fait de tomber de 100 mètres, je ne pense pas que ce soit mieux que de prendre 10 tonnes de craie ! Mais le ressenti est différent.
Plus généralement, ce n’est pas la même pratique du lieu que tu sois en haut ou en bas des falaises : en haut, tu te poses pour contempler, et en bas, tu as plutôt envie de marcher pour découvrir. C’est difficile de rester immobile en bas car ça défile, on a envie d’aller voir derrière. En haut, on a envie de s’allonger, ça appelle à la pause.
Il y a aussi les sons qui remontent : une espèce de roulis des vagues, les goélands, le vent… comme une petite mélodie. On peut s’allonger et avoir tous ces sons qui remontent, mélangés. En bas, c'est le ressac qui domine.
J’aime le vol des goélands, c’est cool, ça plane, on a l’impression qu’ils se baladent, profitent des vents ascendants. Ce sont des planeurs et il semble y avoir tout un rituel.
Figement et mouvement
Si je devais penser à une musique, ce serait quelque chose d’assez gai, enlevé, printanier. C’est gai ce paysage ! Ce n’est pas joyeux, mais c’est positif. C’est en mouvement perpétuel et dans le temps, et dans le moment. On reste 5 minutes et il se passe plein de choses. Il y a des oiseaux, on voit des corneilles accrochées à la falaise. Il pourrait y avoir des dauphins, et puis la marée qui monte, descend...! On ne s’ennuie pas, il y a toujours quelque chose qui bouge, soit dans la lumière soit dans la couleur. On est dans quelque chose de vivant.
L’aiguille, elle, est fixe, on a l’impression que c’est immuable. C’est une carte postale des années 30. Il n’y a pas de repère de temps, elle est figée. Mais regarder la falaise, de près, là, c’est une découverte. On ne sait pas ce qui va se passer, ça bouge. On est dans le vivant.
C’est fragile dans le temps, sur la longueur, mais pas dans l’instantané. On le voit à l’instant parce qu’on voit cet éboulis tout frais, et on sent que ça peut s’effondrer à tout moment, mais dans une vie, on assiste très peu à des éboulements.
Il y a plusieurs histoires qui cohabitent et de temps qui se croisent ici. Une carte postale année 30, un peu surannée. Et puis je vois les blockhaus. Ça rappelle qu’il y a eu la guerre, il n’y a pas si longtemps, et que le pays était occupé. Il y a encore des traces de toute cette période. Et puis après il y a le village en bas, même s’il fait un peu figé, il y a des constructions plus récentes, il y a le golf qui est moderne et qui raconte d’autres types de loisirs que la baignade.
Tout paraît à sa place et là… un épervier ! C’est de la surprise. On est dans un endroit qui ne parait pas surprenant, et paf ! il y a quelque chose d’inhabituel qui arrive.
La mer, un secret
Et puis, la mer...
On voit les courants à la surface de l’eau, on imagine ce qu’il y a dedans, dessous, on parle de dauphins en ce moment. La mer ça reste un secret. C’est envoûtant. La mer, il y a la surface qu’on voit, et toute la partie en-dessous… indiscernable. Ce n’est pas inquiétant, c’est le mystère de l’inconnu, ce qu’on n’a pas avec la montagne. Tout est découvert, on peut aller partout, tout est possible. Avec la mer, il y a une surface et en dessous, on imagine ce qu’on veut. "
Laurent, Étretat
le 18 juin