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"Le bonheur est dans la nature"

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" Ambivalence

A Étretat, c’est un peu difficile ; il n’y a rien de pastel, c’est tout en teintes très vives. J’ai, à cet endroit, un rapport dramatique, jamais en demi-teintes. La période de ma vie à Étretat n’a jamais constitué un long fleuve tranquille.Si je pouvais, je partirais ; mais en même temps, j’ai du mal à quitter l’endroit où je vis : la maison, le parc, le site. C’est tous ces paysages. Avant, je faisais beaucoup de kayak. Je cherchais des endroits sauvages, toutes les criques jusqu’au Tilleul. Il y a des endroits inaccessibles à marée haute, on ne peut y aller qu ‘en bateau. J’aime profiter seul de cet endroit.

Je n’ai jamais été aussi bien qu’à Etretat, c’est une contradiction. Je pense qu’il y a aussi un équilibre de cette petite ville qui arrive tout de même à vivre sans être un désert.

Les gens qui restent ont tendance à être façonnés par le village. Il y a beaucoup de jeunes qui ne veulent pas quitter Étretat. On est un peu déconnectés de tout ce qui se passe autour, ça me fait penser à un vieux feuilleton des années 60, Le prisonnier.

Il y a des attaches particulières. On a des types de population et d’habitats très différents ; il y a les grandes familles qui ont toujours été là depuis plus d’un siècle, les familles de pêcheurs et leurs descendants et après, il y a tout ce brassage touristique, c’est une ville particulière.


 

Paysages

Je crois qu’on est exigeant après avoir vécu à Étretat. Le paysage on ne s’en lasse jamais. Il est très beau, mais il peut être terrible. Étretat, c’est connu pour être un point de suicide. Il suffit d’être comme le temps, un peu perturbé, et là, vous sautez facilement.

Ce qui est très bien, c’est cette présence des éléments, de la nature qui n’est pas domptée. C’est un dernier élément naturel du coin. Ces plages, ces criques jusqu’au Tilleul, ce sont encore des endroits sauvages.

En général, je vais à pied vers Bénouville et au-delà, pour pouvoir rejoindre deux petites valleuses. Je ne passe jamais par le haut, il y a beaucoup trop de touristes et c’est plus artificiel, sauf le soir ou la nuit.

On a assimilé l’image de l’éléphant qui trempe sa trompe, on ne voit plus que ça. Moi, je préfère la deuxième arche : la Manneporte et surtout les autres falaises, vers Vaucottes. Ici, on regarde la mer, on ne regarde pas la terre, parce que vers la terre, c’est la monotonie du Pays de Caux. C’est un peu bloqué entre la terre et la mer. Avec le surplomb, l’avantage, c’est qu’on ne voit pas le Pays de Caux, on peut imaginer ce qu’on veut. Il y a des masses boisées tout autour, ça ferme la perspective, on ne voit pas le plateau. Étretat, c’est déconnecté du Pays de Caux, et chaque valleuse a sa personnalité.


 

Une tentative vouée à l’échec : résister aux éléments

Ce qui est étonnant à Étretat, la pièce manquante, ce sont les villas balnéaires sur le bord de mer. On a des constructions en retrait, et après on a cette zone d’échouage.

Il fallait se protéger de la mer, mais il fallait la voir. C’est pour ça que toutes les maisons sont derrière, sur les hauteurs. Il y a la partie du front de mer qui est un peu décevante, ensuite il y a le centre avec ces maisons bien encastrées les unes dans les autres. Tout est imbriqué, il y a des petits passages, comme si les gens se mettaient à l’abri, et puis après, c’est beaucoup plus distendu. Et enfin, il y a les grandes maisons. Ce que j’aime c’est le mélange de tout ça. Le côté urbain est intéressant, il se protège de la Nature qui semble dire : « Vous, humains, vous êtes là pour un certain temps, mais nous, on aura le dernier mot. » Ça permet de remettre les choses en place. Étretat me raconte surtout que la vie ne vaut pas grand-chose, qu’elle ne dure pas longtemps. Dès qu’on entend l’hélicoptère, on sait que quelqu’un a sauté. Pourquoi venir à Etretat pour sauter ? C’est qu’il y a un romantisme dans le paysage. Il faut s’imprégner du côté sauvage de la nature, et une fois qu’on est imprégné, on saute... ou on ne saute pas ; quand on marche le long de la falaise, il y a quand même l’appel du vide. Et la roche, elle ne tient pas bien. Quand un pan de falaise tombe, c’est impressionnant. Il y a cette espèce de force, de puissance. Il y a un équilibre instable dans le paysage.

On a l’impression de voir un personnage monter la garde contre la nature.C’est la force de la mer qui vient taper ici. La terre et la mer sont en opposition. En montagne, il y a des versants, des pentes douces. Ici, c’est coupé net. La falaise, avant qu’elle ne recule, ce sera long et pourtant il y a un travail de sape en dessous. En même temps, quand ça tombe, c’est d’un coup, sans prévenir, on passe d’un état à l’autre, ça fait réfléchir. On se projette toujours dans l’avenir mais il suffit d’un instant dans la vie pour que tout change. C’est frontal et rude.


 

Le paysage choisi

Cette grande maison jaune avec le parc autour, pour moi, c’est ça Étretat. Le terrain est grand, on n’est pas à la campagne, pas isolés, mais les gens ont réussi à restituer une ambiance. Ils se sont appropriés une partie de la nature, ils ne sont pas au premier rang..., ils sont malins, cachés, mais ils profitent de la vue. C’est ostentatoire sans l’être trop. Ces maisons sont souvent dissimulées. C’est vraiment pour le seul plaisir de ses occupants. Ce n’est pas Deauville, on n’est pas là pour se faire voir, on est là pour voir et profiter. On la voit de loin, c’est tout. On a un côté fin XIXème qui est resté mais qui tourne vite : ça ne se voit pas mais les grandes maisons sont divisées, c’est de plus en plus difficile à entretenir.

Il y a un côté romantique à ces parcs, on imagine une femme avec une robe longue, il y a de la sensualité dans les courbes. C’est doux et vallonné.

Le parc est planté, avec une grande variété d’arbres... Ces pins ne sont pas endémiques. Les arbres, ça fait partie d’Étretat pour ceux qui ont la chance d’être sur les côteaux. Pour ceux qui sont dans le village, c’est plutôt recroquevillé, des petits terrains, des petites maisons, bien au chaud.

On sent la volonté de préserver Étretat. Ce ne serait pas comme ça s’il n’y avait pas eu toutes ces familles, ça aurait été beaucoup plus urbanisé.

Il faut avoir une relation plus respectueuse avec la nature. La domestication on peut, mais avec respect. Ces parcs c’est très beau, mais il faut les entretenir. En même temps, c’est un plaisir d’entretenir. Ça fait expérimenter les échanges avec les autres êtres, les organismes vivants. C’est peut-être une vision un peu romantique. Il y a quelques siècles on n’aurait pas parlé de nature, on aurait parlé de cultivable et non cultivable, habitable et non habitable. Notre rapport à l'environnement change je crois."

Jean-Michel, Étretat,

le 6 juillet

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