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"Le village du soleil couchant"

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Sur la route

Allant de la ville vers la falaise, nous allons du territoire des hommes à celui de la nature. Ça va permettre de voir la façon dont le village s’est construit.

Parmi les raisons qui font que c’est agréable ce chemin, c’est qu’il n’y a pas de voiture. C’est un bonheur. La décision a été prise en avril 2019, à la demande du conservatoire du littoral, pour préserver le site du piétinement et des conséquences de cette foule, et puis pour rendre la beauté à la nature. La ville n’est pas très étendue ; le charme, c’est d’aller d’un bout à l’autre sans véhicule, de se déplacer à pieds, d’admirer l’urbanisme autant que les éléments naturels.


 

Le village du soleil couchant

Étretat c’était le bout de la route au temps des Romains. Les historiens ont beaucoup glosé sur l’étymologie du nom. Il y en a deux qui me plaisent bien : « le village du soleil couchant » et « le bout du chemin ».

On a l’horizon, le soleil disparaît au-delà de l’arche, on aperçoit le soleil au travers les portes, symboliquement c’est fort. Ça se ferme pour nous... et il y a quand même quelque chose au-delà. L’aiguille est toujours présente, dans l’obscurité de la nuit, elle résiste.

"Le village du bout du chemin" c'est l'aspect utilitaire qui ressort. C’était une voie romaine, ça veut dire qu’Étretat, ce n’était pas rien! Les Romains savaient s’installer dans des endroits adaptés à leurs stratégies et à leurs objectifs. C’est parce que c’était ce paysage-là, et l’opportunité que le site offrait d’aller plus loin. Et puis, c’est resté un petit village de pêcheurs ignoré, jusqu’au 19ème siècle Et aujourd’hui, nous devons concilier les deux objectifs que tout le monde ait accès aux richesses naturelles et les préserver. Le site appartient au patrimoine de l’humanité. Il faut le préserver, il faut que l’homme en ait le plaisir, la jouissance, qu’il y ait de la vie; pour qu’il y ait de la vie, il faut des gens qui l’entretiennent et qui le fassent vivre, il y a une économie derrière.


 

Les noces

Étretat est née de la valleuse. On a les noces de la mer et de la terre. Pour moi, c’est comme un théâtre. Il y a une scène sur la mer. Et le spectacle est là. C’est paradoxal parce qu’il n’y a personne. Mais justement ! C’est un peu une baie, comme un miroir où la ville se reflète, c’est la baie qui a nourri la ville, qui a donné d’abord son emplacement, sa justification économique, son développement, mais c’est aussi la mer qui est là. La ville se regarde dans la mer, et ce sont des noces ; ce n’est pas un hasard. Quand je regarde la baie, il y a comme une procession, le fond de la vallée représentant la queue de la procession.

C’est presque comme un décor, avec une toile de fond. Le feu d’artifice est toujours tiré de la falaise. La terre forme un cercle quasiment fermé qui embrasse la mer.

L’urbanisme a sa raison d’être, il s’est développé, transformé pour des raisons précises, et il continue à être défendu pour des raisons précises. On voit essentiellement des toits : je m’imagine ce qu’il y a sous ces toits, je me demande pourquoi ça a été construit comme ça ? Quand on est en ville, on a l’impression que c’est assez harmonieux, quand on est en haut, c’est plus chaotique. Il y a des bâtiments perpendiculaires, on se demande pourquoi ils sont en vis-à-vis si proche. Quand on est au sol, il y a un tracé logique, cohérent, rationnel. Les gens, quand ils ont investi Étretat au 19ème siècle, avaient des raisons pour bâtir à tel endroit, avec telle exposition ; la course du soleil a joué un rôle essentiel. Ça a été courageux aux premiers occupants de s’installer là. Les tempêtes, les inondations, il a fallu qu’ils résistent.

 

« Valorisation »

Le lieu où nous nous trouvons, bien sûr n'est pas très agréable, mais c’est une étape transitoire, intermédiaire. C’était un parking. qui va être rendu à la nature, revégétalisé, avec une théâtralisation du site, une mise en valeur de l’arche, de l’église, du monument. Ça valorisera à la fois l’élément naturel et l’élément construit. Ici, il y a le travail de la nature, une forme de domestication : tout est façonné, taillé, choisi, ce n’est pas la nature avant que l’homme ne la travaille, la façonne.

Les herbes poussent, sans être coupées ni entretenues, on ne voit déjà plus le village. Il y a quelque chose d’artificiel mais qui est beau. L’homme est capable de faire ça sans détruire. Aujourd’hui, il faudrait peut-être prendre l’exemple.

On a une chance inouïe quand on vit ici : dans le contexte des 3 mois que nous venons de passer, on a vu que nous étions des privilégiés. 

Une parenthèse enchantée... c’est une jolie expression parce que c’est ce qu’ont ressenti pas mal de gens.  Et en même temps, c'était bizarre parce que jamais, on avait vécu la ville comme ça : aucune voiture sur la place, pas de piéton, pas un bruit de moto… Jamais personne n’avait connu ça, de mémoire d’habitants. Ça a ouvert les yeux : sans touriste, il n’y a pas d’activité à Étretat, c’est la vocation du site.


 

Émotion et consommation

On voit la flèche. Ça m’émeut. C’est tout.

L’ensemble du site ne se limite pas à l’aiguille et à la falaise. Ça raconte toute l’histoire : la chapelle, ce sont ces fameuses noces entre la ville et la mer, les marins disparus en mer, la mémoire de la lutte de l’homme pour se nourrir, se confronter à un élément naturel dont il vient mais qu’il ne peut maîtriser, et le souvenir de toutes les victimes de leur métier et des éléments naturels.

On entend, en fonction de l’orientation du vent, le bruit des galets, les oiseaux, les goélands surtout. Je sais que l’occupation de l’espace par les goélands évolue au fil des saisons et au fil des semaines. Là, ils nichent dans la falaise, on peut les apercevoir. Ils ont commencé à faire des petits.

On s’intéresse surtout à nos vallées, nos falaises, la mer. La campagne, ça ne se partage pas. C’est un espace solitaire. C’est un lieu où l’on médite, on est à l’écart, on marche. Quand on se déplace sur le plateau, c’est solitaire, on médite, on ne fait rien. Ici, on est sollicités, les sens sont tout le temps sollicités.

 

Ici, c’est collectif. "

Philippe-Emmanuel, Étretat

Le 2 juin 

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