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"Dauphin de béton"

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"De l’exceptionnel jusque dans les gargouilles

 

J’aime cette chapelle, un peu « roc » avec ses pierres qui ne sont pas d’ici. Elle a cette caractéristique d’avoir des gargouilles en forme de poissons avec deux galets incrustés pour les yeux. C'est aussi une sorte d'interprétation, la bouche a une forme particulière. Les gargouilles, elles sont rares… des dauphins… pour un architecte, c’est intéressant une gargouille.

D’habitude, elles sont monstrueuses ! Là, on a six dauphins qui symbolisent la mer et qui donnent à cette chapelle un peu rugueuse un côté maritime, lui apportent de la douceur. Ils sont mignons ces petits yeux ?... C’est agréable de voir que les architectes arrivent à intégrer ces choses-là dans des bâtiments. On ne nous le demande pas si souvent.

 

La chapelle a été refaite après la guerre. La toiture est en ardoise. C’est comme l’ensemble des toits d’Étretat. C’est une question que l’on se pose souvent : doit-on faire quelque chose qui ressemble au patrimoine ou faut-il transgresser ? Là, il y a les deux : la transgression parce que les pierres ne sont pas de la région, les gargouilles ne ressemblent pas à des gargouilles locales et à la fois, on a une toiture à deux pentes, une flèche classique du territoire.

Même si l’édifice est frustre, le côté lisse du ciment, les petits yeux ronds ça adoucit ce lieu, ça peut être sécurisant. D’ailleurs, quand j’étais petit, et avant qu’il n’y ait la grille, on s’y abritait et on pouvait regarder la mer.

 

La chapelle, un navire dans une tempête terrestre

 

Je suis né avec cette chapelle, je ne me suis jamais posé la question de son opportunité. Elle s’appelle la chapelle des marins. C’est une façon de penser à tous ceux morts en mer. J’y suis allé quand j’étais enfant... enfant de chœur. On venait en procession, on montait jusqu’ici en aube blanche avec le curé et les gens du village. Les mariés et les communiants venaient se faire photographier. Ça faisait partie de la tradition. Maintenant, les mœurs ont changé, c’est plutôt pour faire du jogging ou du vélo qu’on vient ici.

Cette église, elle rassemble, elle participe très fortement du lieu, elle protège du vent, elle est rassurante. Elle est rugueuse par ses matières mais comme ici, le site est rugueux : les herbes folles, le vent..., finalement, ça correspond assez bien. Elle n’est pas trop haute, ramassée, elle n’inquiète pas. Il y a un aspect solide de ce bâtiment, comme un navire dans une tempête terrestre parce qu’ici, l’hiver, ce n’est pas vivable. Tout s’use.

Parfois, il n’y a pas de vent et c’est formidable. Le vent raconte autre chose, un autre monde, un monde qui énerve. Ça met de l’énergie, mais parfois il faut rentrer pour se calmer. Les pensées sont plus venteuses…

L’hiver, ça met le bourdon. Ce sont des lieux abandonnés puis, à partir de Pâques, jusqu’à Novembre, ce sont des lieux en suractivité. C’est l’ambiguïté de notre situation : on peut s’ennuyer et on peut suffoquer.

Les touristes et l’éclipse

La foule c'est globalement difficile, pourtant, il y a eu des moments incroyables, je pense à l’éclipse. L’endroit était noir de monde mais avec un calme exceptionnel. J’ai un souvenir harmonieux de ce moment-là. La falaise était remplie de gens qui ne disaient pas un mot, qui était immobiles. Ils prenaient le temps. Ce sont les bruits, les mouvements, la rapidité avec laquelle les gens appréhendent le paysage qui peut les rendre pénibles.

Et c'est la grande question : comment gérer le rapport avec les touristes ? Comment gérer le rapport harmonieux à ces gens qui s’intéressent à nous ?….

Autrefois, le voyageur était content d’être reçu et on était content de recevoir des voyageurs. Est-ce que le touriste, hormis son argent, ne nous apporte rien ? Est-ce qu’on ne pourrait pas être dans une autre altérité ? Un touriste fait en deux jours, ce que je n'aurais le temps de faire en une vie. Il y a toujours à découvrir, juste en baissant le regard... le tapis d’orge par exemple, c'est magnifique. 

Le plateau d’amont et les Jardins d’Étretat.

Il y a un rapport complexe entre ce site sauvage, naturel et cette autre chose remarquable que sont les Jardins d’Étretat avec d’un côté une volonté de laisser le site dans un état sauvage, avec les ronces, le grand plantain, cette herbe très drue qui pousse près du bunker... et de l’autre côté quelque chose de plus domestiqué. On le voit dans le paysage avec cette rue qui sépare les deux espaces, cette barrière et ses plots en bois, raides comme la mort ! Et puis, il y a des endroits où la frontière n'est pas marquée, où les deux espaces s'interpénètrent. Là encore que vaut-il mieux ?

Cet endroit, je l’ai connu sauvage depuis ma naissance. Et maintenant, on voit ce monsieur arriver en vélo et qui écrabouille l'herbe, on n’y aurait pas pensé en ces termes il y a quelques années.

On veut préserver mais, la vraie question c'est de savoir comment."

Raphaël, Étretat

Le 10 juin 

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