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"Art brut"

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" Étretat… entre carte postale et dépaysement

 

J'ai dû venir à Étretat deux ou trois fois. Je ne m’y sens pas particulièrement bien. Je trouve ça très touristique, très carte postale. C’est un site qui vit sur ses acquis : la falaise. En revanche, cet accès, je le trouve agréable, on n'est pas dans le village bondé.

La route… ça grimpe. Je ne me rends pas compte de l’endroit où on est par rapport au village. C’est calme, on entend les oiseaux, c’est un peu encaissé, très vert, la route est ombragée. On n’a pas l’impression d’être en bord de mer, pas même en Normandie… ce ne sont pas les grandes étendues agricoles du Pays de Caux, on sent le littoral. Il y a, ou il y a eu de l’argent : la taille des jardins, le choix des matériaux des maisons.

C’est un progrès, une avancée de ne pas pouvoir accéder là-haut en voiture. Ça préserve le site, et les sensations sonores. En voiture, tu ne t’arrêtes pas, tu vas d’un point A à un point B et tu regardes devant toi et tu ne respires pas le site. La vue qu’on a en haut, elle se mérite. Il y a ce côté cadeau, satisfaction à arriver à destination.

 

Un paysage qui questionne

Du côté de l’aiguille, ça fait décor, on a le sentiment que le chemin va nulle part. Vers Fécamp, le chemin se poursuit, il y a le bunker, ça charge le lieu en histoire. Et puis tu ne sais pas si ça se prolonge, mais il y a une surprise, un mystère, une envie d'aller toujours plus loin.

La problématique qui me travaille, c’est celle de la trace qu’on laisse en tant qu’espèce ou individu. Toutes les pratiques « scarifiantes », je les questionne et j’ai envie de mettre en avant des choses qui préservent la nature et le paysage, qui retravaillent ce qui a déjà été bâti.

Je me demande pourquoi on a tant envie de laisser une trace : chapelle, musée, flèche, croix... Je préfère encore la trace « décor de carte postale » laissée par la Nature, par le temps. Ce n’est pas notre trace.

On est souvent dans l’entretien du site et on ne laisse pas à la Nature le temps de faire son œuvre ; parfois des bâtiments tombent en ruine et on se dit il faut maintenir, reconstruire en l'état… C’est l’incendie de Notre Dame et la volonté à tout prix de refaire la flèche… Ici, des bouts de falaise tombent, il y a le recul du trait de côte. Est-ce bien la peine d’aménager ça ?

« Un petit bout de falaise »

Je vais choisir le petit bout de falaise qui dépasse. 

Cette vue, je l’aime bien : des bouts de falaise qui se détachent sur le ciel, des creux… ça me rappelle des vacances passées en Écosse, les bords de falaise envahis de fulmars. Alors, il y a ce côté nostalgie de ce paysage. Il y a aussi ce décalage entre les gris, les blancs et les verts, les trois plans : l’herbe, la falaise et la mer, et l’idée de la trace naturelle géologique.

Dans mon tableau il n’y a pas trace de l’homme. On voit quelques oiseaux, en contrebas, c'est une façon de s’accommoder de notre présence. J’aime les falaises à-pic parce qu'elles sont inaccessibles à l’homme. On n’aurait pas idée d’aller y planter une station météo…

Il y a une ambiance sonore particulière : même s’il y a du monde, les sons circulent plus facilement, ils ne sont pas bloqués comme en ville, ils peuvent voyager. La roche me parle du temps, de l’immanence du temps, de ce temps qui vieillit, qui s’érode, disparaît mais à une échelle qui nous est imperceptible : même si je sais qu’il y a des éboulements régulièrement, ça reste, à l’échelle du littoral, anecdotique.

Le travail du temps est perceptible. C’est un acteur important dans cet espace. Il l’est aussi dans le bourg, mais c’est le temps de l’homme. On fait les choses pour des décennies ; la Nature fait son œuvre pour des siècles.

Et puis, il y a le vent. On voit l’herbe penchée, les oiseaux jouer avec lui, s’en servir. Dans la vie de tous les jours, le vent, c’est un peu un adversaire, il faut lutter contre lui, surtout quand on est cycliste... là, il est partie intégrante du paysager et de son côté rugueux.

En redescendant

J’aime ce genre de route, et je l'apprécie encore plus qu'à la montée, surtout à cette heure ; ça donne le sentiment d’être à la campagne, le calme revient, il n'y a plus personne. La route est laissée telle qu'elle, les herbes folles poussent, les haies sont de bric et de broc, les marches ne sont pas nécessairement entretenues. Il y a des surprises dans ce chemin… des mystères. J’ai l’impression d’être un petit enfant qui part en forêt et qui trouve des endroits magiques. Ça peut aussi être un endroit pour des rencontres amoureuses..."

Thomas, Étretat

le 14 juin 

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